Bancaire & voies d’exécution - 28/04/2022
des précisions sur les contours de la responsabilité de la banque pour manquement à son devoir de mise en garde dans l'octroi d'un prêt in fine adossé à une assurance-vie
La Cour de cassation a rendu récemment un arrêt extrêmement important sur la question du devoir de mise en garde des banques dans l'octroi des prêts in fine.
Cass.Com 22 janvier 2020 n°17-20.819
En tant qu’établissement professionnel de crédit, la banque est soumise à des obligations vis-à-vis de ses clients et de ses emprunteurs, elle doit notamment les mettre en garde avant la conclusion opération dans lesquels ils souhaitent s’engager contractuellement.
La jurisprudence a peu à peu dégager cette obligation sur les bases de l’article 1147 ancien du Code civil, avant d’en définir plus précisément les contours.
Le prêt in fine est une opération tout à fait singulière, en ce que,
dans un premier temps, et durant la quasi-totalité de la période de
prêt, seuls les intérêts seront remboursés.
Parallèlement à cela,
l’emprunteur va, sur les recommandations de la banque, placer une somme
(généralement suffisamment conséquente pour garantir une grande partie
du prêt), sur une assurance vie, la plupart du temps sur des supports
présumés à fort rendement, de manière que le capital croisse suffisamment
durant la durée du prêt pour qu’au terme de celui-ci le prêt puisse être réglé en une traite.
Pour garantir le remboursement de son
prêt, la banque va également nantir le contrat d’assurance vie, de
manière à pouvoir, à l’échéance du prêt, et même si le rendement n’est
pas celui attendu ou si l’emprunteur ne souhaite pas, en raison de
divers reproches, procéder au virement des sommes placés en assurance
vie au prêteur, se désintéresser en ponctionnant directement l’assurance
vie.
En l’espèce, dans l’arrêt commenté, une SCI (société civile
immobilière) se voit octroyer un prêt remboursable à l’issue d’une
période de 14 ans, avec en garantie un nantissement de deux contrats
d’assurance-vie.
La SCI ne peut rembourser le prêt à l’aide de
ces contrats, mais elle reproche à la banque un manquement à son devoir
de mise en garde pour une opération risquée.
Le litige se
retrouve devant la Cour d’appel de Grenoble qui relève que le devoir de
mise en garde ne doit pas dépasser le principe de non-immixtion de la
banque dans les affaires de son client.
En outre, au visa de
l’article L110-4 du Code de commerce, elle considère que le manquement
au devoir de mise en garde n’induit qu’une perte de chance de ne pas
contracter, et que de ce fait le délai de prescription de 5 ans (droit
commun) court à compter de la conclusion du contrat, de sorte qu’il est
expiré à la date de l’action en justice.
La SCI se pourvoit en cassation.
La chambre commerciale va aller dans le sens du demandeur, et casser et annuler la décision de la Cour d’appel.
Elle
considère que, du fait du manquement de la banque à son obligation de
mise en garde, l’emprunteur subit la perte de chance d’éviter le risque
qui s’est réalisé au moment où l’emprunteur s’est révélé être dans
l’incapacité de rembourser le prêt.
Ainsi, estime la Cour de
cassation, l’action en prescription ne démarre pas à la date de
conclusion du prêt, mais « à la date d’exigibilité des sommes au
paiement desquelles l’emprunteur n’est pas en mesure de faire face »,
soit au moment des premières difficultés financières qu’a connues
l’emprunteur.
C’est ainsi que le délai de prescription, à compter de cette date, n’était pas écoulé.
Cette
interprétation rompt avec la jurisprudence antérieure, qui ne
distinguait pas selon que le devoir de mise en garde était du pour un
prêt classique ou pour un prêt in fine.
Cette solution est
particulièrement favorable aux emprunteurs ayant recours à cette
technique parfois réalisé dans des conditions contestables, et
certainement utilisée avec trop peu de parcimonie par les établissements
de crédit.
La crise financière a en effet révélé les limites de
ce système, basé sur une confiance illimitée dans les capacités du
marché à générer des bénéfices.
D’abord,
la Cour de cassation restaure le devoir de mise en garde pour ce type
de prêts en lui accordant une plus grande importance.
Limiter en
effet le devoir de mise en garde à un délai de 5 ans à compter du prêt
revenait, en pratique, à le rendre totalement inopérant dans la mesure
où, comme nous l’avons vu, ce type de prêt s’étale bien souvent sur 10,
15 voire 20 ans…
Avant même qu’il ait pu se rendre compte qu’il a
subi un préjudice, l’emprunteur, qui ne découvre réellement le montant
de gains ou des pertes qu’au moment du dénouement de l’opération et du
rachat de l’assurance vie, était privé de son droit d’agir.
Cela
contrevenait, sans aucun doute, aux règles du droit commun de la
prescription, lesquelles prévoient, depuis 2008, que le délai de
prescription commence en principe à courir au moment où le demandeur a
eu connaissance, ou aurait dû avoir connaissance de l’existence de son
droit.
Le devoir de mise en garde n’est pas une simple formalité,
puisqu’il va conditionner l’acceptation de l’emprunteur quant au
contrat de prêt.
La banque doit conseiller son client sur l’opportunité de contracter un contrat de prêt, voire le dissuader dans certains cas.
Cet arrêt, extrêmement favorable à l’emprunteur, constitue un revirement de jurisprudence, très important.
Cela
induit une plus grande sécurité financière pour l’emprunteur, qui va
pouvoir bénéficier d’un conseil plus précis pour les opérations qu’il
doit mener.
Maître Charlyves SALAGNON, Avocat associé au sein du
cabinet BRG Avocats (Nantes-Paris), et responsable du département droit
économique, droit bancaire, vous
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concernant vos litiges portant sur les contrats de prêts.
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