Bancaire & voies d’exécution - 10/04/2020
Les emprunteurs lésés par des opérations spéculatives relatives à un prêt in fine désormais mieux protégés
La Cour de cassation vient de rendre un arrêt important pour les emprunteurs lésés par les opérations spéculatives consistant à adosser le remboursement d’un prêt in fine à une assurance vie, qui peuvent provoquer des pertes en capitale importantes.(Cass. Com 22 janvier 2020 (pourvoi n° 17-20.819)
L’octroi de crédits in fine, garantie par des assurances-vie, est une opération bancaire qui explose depuis plusieurs années et qui nourrit dès lors un important contentieux. Malheureusement, ces placements ne sont pas toujours lucratifs, et la déception peut être grande.
Elle le sera d’autant plus dans les prochains mois, lorsque la crise économique lié au coronavirus, et le dévissage des bourses, laisseront place à d’importantes pertes pour les investisseurs ayant placé leurs économies sur des contrats d’assurance-vie.
La responsabilité du banquier est ainsi susceptible d’être engagée en pareilles circonstances.
Le banquier est soumis à une obligation de mise en garde, envers ses clients.
En effet, en matière d’emprunt bancaire notamment, le banquier possède un rôle primordial en ce qu’il doit pouvoir faire bénéficier à son client d’explications claires et précises sur les conditions inhérentes à l’opération financière projetée de sorte que son client comprenne l’étendue des obligations auxquelles il devra faire face.
De plus, l’obligation de conseil et de mise en garde du banquier l’oblige à avertir son client sur l’opportunité de l’opération. En cela, il doit notamment indiquer les risques liés à la démarche envisagée.
C’est ce qu’a invoqué la société victime de pertes financières dans cette affaire.
En l’espèce, une banque a consenti à une SCI durant l’année 2000, un premier prêt remboursable à l’issu d’une période de quatorze ans, garanti par le nantissement de deux contrats d’assurance-vie souscrits par deux associés de la société.
Par la suite, en 2006, la banque leur a consenti un second prêt.
Reprochant à la banque un manquement à son devoir de mise en garde, d’information et de conseil les deux associés de la société ainsi que la SCI l’ont assigné en responsabilité.
Toutefois, la Cour d’appel a rejeté les demandes, en considérant que l’action en justice était tardive.
La Cour d’appel a considéré que la demande d’indemnisation de la société au titre du premier prêt consenti était prescrite en ce que le dommage allégué par cette dernière, consistant en l’impossibilité de rembourser le capital prêté au moyen du rachat des contrats d’assurance-vie, est exclusivement lié à l’obligation de mise en garde incombant à l’établissement prêteur envers un emprunteur non averti au regard des capacités financières de ce dernier et du risque de l'endettement né de l'octroi du prêt.
Elle retient que le dommage résultant du manquement d’un établissement de crédit à son obligation de mise en garde consiste en une perte de chance de ne pas contracter et se manifeste donc dès la conclusion du contrat de prêt.
S’agissant des crédits consentis pour une longue durée, les emprunteurs sont souvent amenés à intenter une action en justice de nombreuses années après l’octroi du prêt.
La fixation du point de départ de la prescription quinquennale prévue à l’article L110-4 du Code de commerce est alors déterminante.
En l’espèce, la SCI et les deux associés reprochent à la banque de ne pas les avoir informés, lors de la Toutefois, la Cour de cassation estime que la Cour d’appel a privé sa décision de base légale alors que les manquements de la banque à ses obligations d’information et de conseil ont été de nature à priver la SCI d’une chance d’éviter le risque du fait d’une contreperformance des contrats d’assurance-vie, leur rachat ne permettant finalement pas de rembourser le capital prêté.
De plus, selon elle, un tel dommage consiste en la perte de chance d’éviter le risque qui s’est réalisé, ce risque étant que l'emprunteur ne soit pas en mesure de faire face au paiement des sommes exigibles au titre du prêt, de sorte que le délai de prescription de l'action en indemnisation commence à courir, non à la date de conclusion du contrat de prêt, mais à la date d'exigibilité des sommes au paiement desquelles l'emprunteur n'est pas en mesure de faire face.
Par son arrêt en date du 22 janvier 2020, la Cour de cassation vient retarder opportunément le point de départ du délai de prescription, de sorte que les souscripteurs étaient en bon droit d’agir contre la banque.
En effet, le dommage subit en raison du manque d’information et de conseil de la part de la banque ne correspond pas à une perte de chance de ne pas contracter mais plutôt en une perte de chance d’éviter la réalisation du risque lié à une contre-performance des contrats d’assurance-vie, étant précisé que ce risque ne peut se réaliser qu’au terme du prêt et donc à la date où les sommes concernées devenaient exigibles par la banque.
En l’espèce, l’action exercée n’était donc pas prescrite.
Dans une affaire tout à fait similaire, la Haute juridiction avait déjà estimé que le point de départ de la prescription de l’action en responsabilité contre la banque fondée sur l’article L110-4 du Code de commerce, en raison de la perte de chance d’éviter la réalisation du risque, commence à l’échéance du prêt, date à laquelle le risque a pu se réaliser (Cass .com, 6 mars 2019, n°17-22.668).
Ces solutions méritent d’être relevées en ce qu’elles protègent les emprunteurs face à des montages financiers parfois risqués.
Elles viennent en effet mettre fin à une jurisprudence antérieure qui faisait alors courir le délai de prescription à compter de la date de l’octroi du prêt, et qui était appliquée jusqu’alors de manière uniforme, sans tenir compte des caractéristiques spécifiques de ces opérations spéculatives, puisque les emprunteurs, dans un cas comme celui-ci, ne sont pas en capacité de s’apercevoir, avant le dénouement du contrat d’assurance vie, que l’opération leur a été préjudiciable.
Il semblerait que la Haute juridiction ait assoupli sa position en souhaitant faire courir le délai de prescription le plus tard possible afin de laisser aux emprunteurs le bénéfice d’une action en justice quand le prêt en question comporte un risque d’endettement excessif ou bien quand il s’agit d’opérations financières à risque telle que la souscription d’un prêt garanti par un contrat d’assurance vie comme en l’espèce.
Cette solution est importante pour les emprunteurs ayant eu recours à des prêts in fine et qui souhaitent engager la responsabilité de leur établissement de crédit.
Le client démontrant un préjudice à son égard, pourra espérer obtenir une indemnisation de la part de son banquier pour défaut de mise en garde.
Il reste toutefois essentiel d’agir rapidement après le découvert des pertes financières causées par l’opération, afin de respecter le délai de prescription applicable.
Maître SALAGNON, Avocat associé au sein du cabinet BRG Avocats (Nantes-Paris), et responsable du département droit économique, droit de la consommation, droit des contrats, vous conseille, vous assiste et vous accompagne sur toute la France concernant vos litiges portant sur les contrats de prêts et d’assurance-vie. Pour le contacter, appelez-le au 02.40.89.00.70, ou prenez contact au moyen du formulaire de contact afin qu’une réponse vous soit apportée dans les meilleurs délais.
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