Bancaire & voies d’exécution - 21/04/2023
Cass. Com. 6 janv. 2021 n° 18-24.954
En l’espèce, un emprunteur a obtenu un crédit immobilier auprès d’une banque en mars 2009, garanti par le cautionnement d’une société, et adhéré au contrat d’assurance de groupe souscrit par la banque.
En 2012, soit seulement trois ans après l’octroi du prêt, l’emprunteur a été placé en arrêt maladie et a ainsi demandé la prise en charge du remboursement des mensualités du prêt par l’assurance.
L’assureur a refusé cette prise en charge au motif que l’emprunteur avait atteint l’âge au-delà duquel le risque de maladie n'était plus garanti.
Au vu des échéances impayées, la banque a prononcé la déchéance du terme du prêt et la caution a payé les sommes dues.
Au cours du mois d’août 2014, celle-ci a assigné l’emprunteur en paiement.
L’emprunteur a formé une demande reconventionnelle en estimant que la banque avait manqué à son devoir de l’éclairer sur l’adéquation des risques couverts sur sa situation personnelle.
La Cour d’Appel a déclaré l’action de l’emprunteur irrecevable, comme prescrite. Elle soulève à ce titre que plus de cinq ans se sont écoulés entre mars 2009, date de la conclusion du crédit immobilier et août 2014, date de l’assignation en justice.
Les juges ont considéré que le dommage qui résulte du manquement de l'obligation de mise en garde de la banque consistant en une perte de chance de ne pas contracter a eu lieu lors de la conclusion du crédit. Il s’agit de la date où les termes du contrat d’assurance emprunteur, transmis par les conditions générales et la notice d’information, permettent à l’emprunteur de connaitre les évènements excluant la couverture.
A cet effet, les juges ont considéré que le jour de la conclusion du contrat, accompagné de la remise de la notice d’information, constituait le point de départ du délai de prescription.
Concrètement, l’emprunteur avait, d’après ce raisonnement jusqu’à mars 2019 pour engager une action en responsabilité contre la banque.
La chambre commerciale de la Cour de cassation a retenu une toute autre solution.
Elle commence par rappeler qu’au visa des articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce, les :
« actions personnelles ou mobilières entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».
Elle poursuit en indiquant que le préjudice né d’un manquement à un devoir de conseil sur l’adéquation de la garantie souscrite et des besoins personnels de l’emprunteur ne se manifeste pas à la conclusion du crédit mais lors du refus de prise en charge des mensualités du prêt par l’assureur.
En effet, l’assuré ne prend connaissance du dommage lié à un manquement à un devoir de conseil seulement au moment du refus de garantie.
Ainsi, la date du refus de prise en charge du risque constitue le point de départ du délai de prescription de l’action de l’emprunteur contre la banque.
Suivant ce point de départ du délai de prescription, l’action en responsabilité de l’emprunteur contre la banque n’était pas encore prescrite.
L'emprunteur pouvait former une action en responsabilité contre la banque jusqu’en 2017.
La demande reconventionnelle formée en août 2004 était donc pleinement recevable.
La jurisprudence classique de la chambre commerciale de la Cour de cassation retenait que « le dommage résultant d'un manquement à l'obligation de mise en garde consistant en une perte de chance de ne pas contracter se manifeste dès l'octroi des crédits » (Com. 26 janv. 2010, n° 08-18.354).
Le point de départ de la prescription de l’action en responsabilité était donc fixé jusqu'ici au jour de la conclusion du contrat.
Toutefois, cette position a été contestée dans un arrêt du 18 mai 2017 à propos d’une assurance adjointe à un contrat de prêt (Civ. 2e, 18 mai 2017, n° 16-17.754).
La deuxième chambre civile avait retenu que la manifestation du dommage ne découlait pas de la conclusion du contrat mais du refus de garantie opposé par l’assureur.
Le refus de garantie était venu établir le point de départ de la prescription.
Allant dans cette même direction, l’arrêt du 6 janvier 2021 a opéré un revirement de jurisprudence.
Le point de départ n’est plus celui de ne pas contracter mais celui de ne pas pouvoir bénéficier de la prise en charge.
Par conséquent, le point de départ du délai de prescription est reporté au moment du refus de prise en charge.
La chambre commerciale a somme toute décidé de s’accorder avec la deuxième chambre civile.
Contrairement à la deuxième chambre civile, la chambre commerciale n’a retenu que la responsabilité du souscripteur d’assurance (la banque ici) et non de l’assureur lui-même.
Lier la perte de chance à la possibilité de bénéficier d’une prise en charge est une solution favorable à l’emprunteur.
En effet, les conditions de mise en œuvre du contrat d’assurance sont souvent peu claires pour le client.
En cas de manquement de la banque à son devoir d’information, de mise en garde et de conseil, l’emprunteur est privé de son droit à être éclairé sur l’adéquation des risques couverts à sa situation personnelle.
Avant qu’il subisse un dommage, l’emprunteur n’aura donc pas conscience des risques couverts à sa situation personnelle.
En l’espèce, la banque a failli à son devoir de conseil car elle n’avait pas évalué l’âge de son client par rapport à la couverture du risque.
Si l’emprunteur avait su que seulement trois ans après la conclusion du contrat, il avait atteint l’âge au-delà duquel le risque n’était plus garanti, il n’aurait vraisemblablement pas adhéré à cette assurance de groupe.
La Haute juridiction rappelle à travers cette décision les modalités du devoir de conseil. Elle estime, à cet égard, que la remise de la notice ne suffit pas à caractériser ce dernier.
Cela avait fait l’objet d’une décision rendue en Assemblée plénière le 2 mars 2007 (Cass., ass. plén., 2 mars 2007, n° 06-15.267) : le banquier est tenu d’éclairer son client « sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d'emprunteur, la remise de la notice ne suffit pas à satisfaire à cette obligation ».
Le devoir de conseil impose de prendre en compte les besoins spécifiques de l’assuré.
Dès lors, la Cour d’Appel ne pouvait pas seulement retenir une obligation de mise en garde qui correspond à l’obligation pour le banquier d'avertir l’emprunteur contre les risques du contrat.
De plus, les emprunts, notamment pour les biens immobiliers, sont souvent réalisés sur une longue période.
Sans le report du point de départ de la prescription, la banque ne verrait jamais sa responsabilité engagée si le refus de garantie opposé par l’assureur intervenait après les cinq années suivant la conclusion du contrat.
La solution retenue ici par la chambre commerciale contrevient à ce résultat et permet de sanctionner les manquements de la banque à son devoir de conseil plus aisément et plus largement.
Cette solution mérite donc pleinement d’être approuvée car elle opte pour une vision concrète des droits dont doit disposer l’emprunteur.
La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a réitéré sa position dans un arrêt du 17 juin 2021 (n° 19-24.467).
Elle énonce que :
« toute perte de chance ouvre droit à réparation, sans que l’emprunteur ait à démontrer que, mieux informé et conseillé par la banque, il aurait souscrit de manière certaine une assurance garantissant le risque réalisé ».
En somme, le banquier ne doit pas négliger son devoir d’information et de conseil en matière d’assurance car à défaut, il risque d’engager sa responsabilité et par conséquent indemniser le client de la perte de chance de souscrire à une garantie plus adaptée à sa situation.
Lorsque sa responsabilité sera engagée, il sera condamné à des dommages et intérêts.
Maître Charlyves SALAGNON, Avocat associé au sein du cabinet BRG Avocats (Nantes-Paris), et responsable du département droit bancaire, droit de la consommation, vous conseille, vous assiste et vous accompagne sur toute la France concernant vos litiges bancaires.
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